Aircrige Canada : appel à communications

Appel à communications

Aircrige Canada

78e Congrès de l’ACFAS, Université de Montréal, 11, 12 et 13 mai 2010

Les figures de la victime dans le cadre du génocide : entre réalité et fiction, entre représentations et mises en œuvre

Le crime de génocide, en raison de sa nature spécifique – à savoir un crime qui vise à l’éradication totale de tous les membres d’un groupe, et qui ne peut, en raison même de la radicalité de l’intention, que se fonder sur le déni de la réalité de ce qu’il est – interpelle à plus d’un titre. Dans les représentations et configurations de ce crime, il est une figure qui mérite que l’on s’y attarde: celle de la victime. Car, aussi paradoxal que cela puisse paraître au vu du crime, celle-ci semble se décliner sous des traits divers, voire contradictoires, selon les sujets qu’elle désigne ou qui se revendiquent comme telle. En effet, au cours du projet criminel menant à l’extermination d’un groupe, il appert que différentes catégories de personnes peuvent ou cherchent à prétendre au titre de victimes. Au nombre de ces catégories, nous retrouvons non seulement les personnes appartenant au groupe directement ciblé par le projet génocidaire, mais également – et ici émerge le paradoxe – les bourreaux, ainsi que leurs descendants, qui, eux aussi, se perçoivent et/ou veulent être perçus comme des victimes. De ces deux catégories de victimes, nous pouvons encore induire des « sous-figures » de la victimité.
Ainsi, s’agissant du groupe ciblé par le projet exterminateur, est-il possible de distinguer entre les personnes ayant irrémédiablement disparu et les survivants, de même qu’entre les descendants des « génocidés » (néologisme emprunté à Révérien Rurangwa, rescapé du génocide des Tutsi) et les victimes (in)directes, entendons par là les personnes qui n’ont pas vécu directement le génocide, mais qui, parce qu’elles appartiennent au groupe ciblé, ont perdu des membres de leurs familles et sont donc par là même, elles aussi, des victimes du crime. S’il convient, par ailleurs, de compter les descendants au nombre des victimes du génocide, c’est parce que les traumatismes provoqués par ce type de crime présentent la particularité d’être transgénérationnels et donc de se transmettre et d’affecter profondément le psychisme des descendants des rescapés (Hélène Piralian), ainsi que le révèlent les dernières recherches en psychanalyse. De plus, ces traumatismes se trouvent aggravés par l’existence de discours et d’une idéologie négationnistes qui, en niant le passé, dénient aussi aux victimes leur qualité même de victimes, que cette négation porte sur la commission du génocide (il n’y a pas eu de crime), sur la nature du crime (il ne s’agit pas d’un génocide, mais d’une guerre), voire, de façon plus radicale encore, sur l’existence même du peuple victime ; d’où l’émergence d’une autre figure de la victime, celle de la « victime déniée » ou de la « non-victime ».
Compte également au nombre de ces différents visages pris par la victime et qui les englobe toutes, celle de la « victime absolue », dont parle Antoine Garapon. Cette figure nouvelle de la victimité nait avec le génocide et renvoie à la victime ciblée non pas en raison de ce qu’elle FAIT (combattants, résistants, opposants…), mais pour ce qu’elle EST.
On ne peut, cependant, parler de « victime absolue » du génocide sans aborder également les traits de la victime qui se situe dans la « zone grise » mentionnée par Primo Lévi et qui s’incarne dans la personne ambiguë du kapo, à savoir ce détenu des camps de concentration nazi, lequel, placé en position d’autorité dans la hiérarchie « basse » du fonctionnement des camps, ne pouvait préserver sa situation « privilégiée » qu’en participant au processus de destruction de ses codétenus.
De même, convient-il encore de s’attarder ici sur les représentations du « vrai témoin » d’un génocide. Dans un contexte génocidaire, en effet, la survie des membres du groupe ciblé relève, dans la majorité des cas, d’un « accident de parcours ». Fruit du hasard, elle n’a bien souvent pas dépendu du survivant. Aussi, celui-ci n’incarne-t-il pas ce qu’il est convenu d’appeler le « vrai témoin » de la réalité génocidaire – le vrai témoin étant celui qui a disparu –, mais davantage un témoin « par obligation », l’obligation tenant dans le devoir qu’il s’impose (ou se reconnaît) de témoigner pour tous ceux qui ne le peuvent plus ou ne le peuvent pas, la parole témoignante de la victime absolue n’étant jamais une parole sans conséquence pour celui qui la profère.
Quant à la revendication du statut de victime de la part des criminels, celle-ci se décline également sous différents traits, qui tous cependant se rejoignent, peu ou prou, dans la figure de la « pseudo-victime ». Cette représentation de la pseudo-victime fait d’ailleurs partie intégrante de la logique génocidaire, laquelle se fonde, de fait, sur le mensonge, la distorsion et, à terme, le travestissement des rôles. Elle prend forme notamment lorsque les criminels, par un remarquable tour de force idéologique, s’érigent eux-mêmes en victimes agissant en état de légitime défense, face à une victime qui se retrouve transformée, pour les besoins de la cause criminelle et aux termes d’une construction métaphorique propagandiste, en « ennemi de l’intérieur » qu’il s’agit dès lors d’éliminer dans un face-à-face aussi radical qu’infaillible, celui qui s’exprime en termes de « eux ou nous ». Se rangent également dans la catégorie de ces pseudo-victimes tous les « seconds couteaux » de l’extermination, toutes les « petites mains » de ce crime de système qu’est le génocide; en d’autres termes, tous les exécutants, simples participants, observateurs passifs, sans lesquels un génocide ne saurait atteindre « son plein rendement », et qui se disent les « victimes idéologiques » d’un temps, d’un lieu, d’un système, d’un pouvoir qui les aurait subjugués.
Dans le cadre de ce colloque, nous nous proposons d’investir différentes pistes de recherche qui toutes tendent à explorer ces représentations diverses de la victime, 1) selon le groupe de personnes auquel elles renvoient, 2) selon le groupe de personnes qui s’en réclame, avec, à terme, l’émergence de plusieurs configurations de cette figure emblématique du crime. Mais pour saisir la complexité des discours articulés autour des victimes d’un génocide et qui émanent des divers acteurs en présence (victimes absolues vs individus ayant participé au projet exterminateur) –, il est essentiel de se pencher sur les enjeux concrets, voire stratégiques, qui sous-tendent ces discours, notamment lorsqu’ils entendent remettre en question la catégorisation juridique des victimes : victimes de crimes de guerre, victimes de crimes contre l’humanité, victimes de génocide. Car, si une telle catégorisation peut sembler à certains et de prime abord sans intérêt, tatillonne – du « jargonage » de juristes –, voire même indécente, il est plus que crucial de pouvoir distinguer entre les victimes, surtout lorsque l’amalgame volontairement entretenu a pour finalité de diluer les responsabilités et d’introduire de la confusion dans les culpabilités. Il s’agira donc ici pour nous d’interroger toutes ces figures de la victime d’un génocide, de s’arrêter sur les mécanismes de construction de celle-ci et de l’importance primordiale que représente la reconnaissance du statut de victime. À terme, cette « taxinomie » des différentes figures de la victimité n’a pas pour finalité d’enfermer la réalité génocidaire dans de petites cases bien étanches, dans lesquelles on pourrait ranger chacun des protagonistes du crime – une étanchéité qui serait d’ailleurs fallacieuse –, mais, bien davantage, de parvenir, par cette catégorisation épistémologique, à une meilleure compréhension de la figure de la victime et, avec elle, des enjeux, lourds de conséquences, liés à la reconnaissance du statut de victime. Dès lors, toutes les contributions en provenance des diverses disciplines s’intéressant au génocide sont les bienvenues, tant il est vrai que seule une approche pluridisciplinaire et pluriméthodologique peut nous permettre de cerner la complexité du processus génocidaire qui se reflète dans la pluralité même des figures de la victime, et, partant, de parer à la banalisation/confusion entretenue entre ces différentes figures; une banalisation/confusion qui est l’un des moyens privilégiés par les négationnistes pour brouiller les pistes, renverser les rôles, et, partant, nier la réalité du crime.

Comité organisateur :
Catalina Sagarra, professeure agrégée au Département des langues et littératures modernes de la Trent University;
Murielle Paradelle, professeure agrégée à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

Les propositions de communication d’environ 250 mots devront être, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique et devront nous parvenir avant le 31 janvier 2010 et avec la mention « Colloque AIRCRIGE/ACFAS 2010 » à l’une des adresses suivantes :

catalinasagarra@trentu.ca;
murielle.paradelle@uottawa.ca.

Les frais d’inscription au colloque et les frais de déplacement sont à la charge des participants.
Pour toute information sur le Congrès de l’ACFAS, veuillez consulter le site de l’ACFAS: http://www.acfas.ca/congres/a_propos.html.




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